Le Chêne un jour dit au roseau :
Vous avez bien sujet1 d’accuser la Nature ;
Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau.
Le moindre vent qui d’aventure2
Fait rider la face de l’eau,
Vous oblige à baisser la tête :
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d’arrêter les rayons du soleil,
Brave l’effort de la tempête.
Tout vous est aquilon ; tout me semble zéphir3.
Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n’auriez pas tant à souffrir :
Je vous défendrais de l’orage ;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des Royaumes du vent.
La Nature envers vous me semble bien injuste.
Votre compassion, lui répondit l’Arbuste ,
Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci.
Les vents me sont moins qu’à vous redoutables.
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots,
Du bout de l’horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs.
L’Arbre tient bon ; le Roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu’il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine4,
Et dont les pieds touchaient à l’empire des morts5.
GabrielBelot, CC BY-SA 4.0 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0, via Wikimedia Commons
- Des motifs pour… ↩︎
- Par hasard ↩︎
- L’aquilon est un vent du nord, violent et froid, le zéphyr un vent léger et agréable ↩︎
- Celui dont la tête était voisine du ciel ↩︎
- Plusieurs expressions sont tirées de Virgile dans cette fable. Déjà, La Fontaine faisait allusion à l’image finale dans la quatrième lettre à sa femme, de son voyage en Limousin, lorsqu’il parle des tours du château d’Amboise : « Elles touchent, ainsi que les chênes dont parle Virgile, D’un bout au ciel, d’autre bout aux enfers » ↩︎
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