Catégorie : Poésie

  • Le Chêne et le Roseau

    Le Chêne et le Roseau

    Le Chêne un jour dit au roseau :
    Vous avez bien sujet1 d’accuser la Nature ;
    Un Roitelet  pour vous est un pesant fardeau.
    Le moindre vent qui d’aventure2
    Fait rider la face de l’eau,
    Vous oblige à baisser la tête :
    Cependant que mon front, au Caucase pareil,
    Non content d’arrêter les rayons du soleil,
    Brave l’effort de la tempête.
    Tout vous est aquilon ; tout me semble zéphir3.
    Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage
    Dont je couvre le voisinage,
    Vous n’auriez pas tant à souffrir :
    Je vous défendrais de l’orage ;
    Mais vous naissez le plus souvent
    Sur les humides bords des Royaumes du vent. 
    La Nature envers vous me semble bien injuste.
    Votre compassion, lui répondit l’Arbuste ,
    Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci.
    Les vents me sont moins qu’à vous redoutables. 
    Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici
    Contre leurs coups épouvantables
    Résisté sans courber le dos ;
    Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots,
    Du bout de l’horizon accourt avec furie
    Le plus terrible des enfants
    Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs.
    L’Arbre tient bon ; le Roseau plie.
    Le vent redouble ses efforts,
    Et fait si bien qu’il déracine
    Celui de qui la tête au ciel était voisine4,
    Et dont les pieds touchaient à l’empire des morts5.

    GabrielBelot, CC BY-SA 4.0 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0, via Wikimedia Commons

    1. Des motifs pour… ↩︎
    2. Par hasard ↩︎
    3. L’aquilon est un vent du nord, violent et froid, le zéphyr un vent léger et agréable ↩︎
    4. Celui dont la tête était voisine du ciel ↩︎
    5. Plusieurs expressions sont tirées de Virgile dans cette fable. Déjà, La Fontaine faisait allusion à l’image finale dans la quatrième lettre à sa femme, de son voyage en Limousin, lorsqu’il parle des tours du château d’Amboise : « Elles touchent, ainsi que les chênes dont parle Virgile, D’un bout au ciel, d’autre bout aux enfers » ↩︎
  • Poème Sur La 7ème, Philippe Labro et Johnny Hallyday

    Poème Sur La 7ème, Philippe Labro et Johnny Hallyday

    Qui a couru sur cette plage ?
    Elle a dû être très belle
    Est-ce que son sable était blanc ?

    Est-ce qu’il y avait des fleurs jaunes
    Dans le creux de chaque dune ?
    J’aurais bien aimé toucher du sable
    Une seule fois, entre mes doigts

    Qui a nagé dans cette rivière ?
    Vous prétendez qu’elle était fraîche
    Et descendait de la montagne ?

    Est-ce qu’il y avait des galets
    Dans le creux de chaque cascade ?
    J’aurais bien aimé plonger mon corps,
    Une seule fois, dans une rivière

    Dîtes, ne me racontez pas d’histoires,
    Montrez-moi des photos pour voir
    Si tout cela a vraiment existé

    Vous m’affirmez qu’il y avait du sable,
    Et de l’herbe, et des fleurs, et de l’eau,
    Et des pierres, et des arbres, et des oiseaux ?
    Allons ! Ne vous moquez pas de moi

    Qui a marché dans ce chemin ?
    Vous dîtes qu’il menait à une maison ?
    Et qu’il y avait des enfants qui jouaient autour ?
    Vous êtes sûrs que la photo n’est pas truquée ?
    Vous pouvez m’assurer que cela a vraiment existé ?

    Dîtes moi, allons ne me racontez plus d’histoires
    J’ai besoin de toucher et de voir pour y croire

    Vraiment ? C’est vrai ? Le sable était blanc ?
    Vraiment ? C’est vrai ? Il y avait des enfants,
    Des rivières, des chemins et des cailloux, des maisons ?
    C’est vrai ? Ça a vraiment existé ?
    Ça a vraiment existé ?
    Vraiment ?

    Auteur : Philippe Labro
    Compositeur : Eddie Vartan

  • L’albatros, Charles Baudelaire

    L’albatros, Charles Baudelaire

    Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
    Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
    Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
    Le navire glissant sur les gouffres amers.

    À peine les ont-ils déposés sur les planches,
    Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
    Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
    Comme des avirons traîner à côté d’eux.

    Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
    Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
    L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
    L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !

    Le Poète est semblable au prince des nuées
    Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
    Exilé sur le sol au milieu des huées,
    Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

    Charles Baudelaire, 1821-1867

  • Demain, dès l’aube, Victor Hugo

    Demain, dès l’aube, Victor Hugo

    Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
    Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
    J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
    Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

    Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
    Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
    Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
    Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

    Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
    Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
    Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
    Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

  • Correspondances, Charles Baudelaire

    Correspondances, Charles Baudelaire

    La Nature est un temple où de vivants piliers
    Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
    L’homme y passe à travers des forêts de symboles
    Qui l’observent avec des regards familiers.

    Comme de longs échos qui de loin se confondent
    Dans une ténébreuse et profonde unité,
    Vaste comme la nuit et comme la clarté,
    Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

    II est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
    Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
    — Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,

    Ayant l’expansion des choses infinies,
    Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,
    Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.

  • Si… Tu seras un homme, mon fils, Rudyard Kipling

    Si… Tu seras un homme, mon fils, Rudyard Kipling

    Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
    Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
    Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
    Sans un geste et sans un soupir ;

    Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
    Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre,
    Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
    Pourtant lutter et te défendre ;

    Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
    Travesties par des gueux pour exciter des sots,
    Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
    Sans mentir toi-même d’un mot ;

    Si tu peux rester digne en étant populaire,
    Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
    Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
    Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;

    Si tu sais méditer, observer et connaître,
    Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
    Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
    Penser sans n’être qu’un penseur ;

    Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
    Si tu peux être brave et jamais imprudent,
    Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
    Sans être moral ni pédant ;

    Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
    Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
    Si tu peux conserver ton courage et ta tête
    Quand tous les autres les perdront,

    Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
    Seront à tout jamais tes esclaves soumis,
    Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
    Tu seras un homme, mon fils.

    Célèbre poème “If-” de Rudyard Kipling (1909) traduit de l’anglais par André Maurois (1918).